Le magazine photo Polka Magazine sort ce mois-ci un dossier intitulé « FN et Ultras ».
Si nous avons déjà beaucoup écrit sur ces différentes relations, tenues et entretenues avec des Gudards actuels ou historiques, ou avec certains membres des JNR, il en est une toutefois qui mérite d’être précisée. Celle qu’entretient certains cadres et dirigeants du Front National avec une partie des figures les plus radicales de la communauté juive de France, au premier plan desquelles figurent la Ligue de défense juive et son représentant Jean-Claude Nataf, dit Carlisle[1].
Sur une des photos publiées par Polka Magazine nous le voyons discuter, tout sourire, avec Philippe Peninque, devenu une vedette bien malgré lui suite à l’affaire Cahuzac.
A première vue cette relation pourrait paraître totalement contre nature, pourtant elle n’est que l’aboutissement d’années de contacts divers et variés.
LDJ – FN, je t’aime moi non plus
Les premiers contacts de Jean-Claude Nataf – Carlisle avec le « clan mariniste » datent du début des années 2000. A l’époque c’est avec Louis Aliot, le pourfendeur d’antisémites au sein de Front National que des contacts ont lieu. En 2010 Marc Georges[2] raconte cette anecdote dans une interview donnée au journal Rivarol :
« En 2006 Alain Soral, inquiet pour sa sécurité, avait sollicité Marine Le Pen dont il connaissait les accointances judéomanes [sic], pour qu’elle intervînt en sa faveur car il craignait d’être menacé par des bandes sionistes du type du Bétar ou de la LDJ. Et Marine Le Pen a appelé devant lui dans son bureau Michaël Carlisle, le chef de la Ligue de défense juive, pour lui demander si Soral était effectivement menacé. Ce à quoi Carlisle a répondu que non. Et pour cause, quand on sait qu’en contrepartie de ce service, Alain Soral, ce qui en étonnera plus d’un — c’est lui qui me l’a raconté — qui avait sympathisé avec Gilles-William Goldnadel, agent israélien notoire, ultra-sioniste, a présenté ce dernier à Marine Le Pen dans le cadre d’une rencontre tripartite. Edifiant ! »[3]
Cette interview fait l’objet d’un article dès le lendemain sur le blog Droites Extrêmes du Monde mais sans faire mention de cette anecdote. L’article du Monde est repris sur le site officiel du FN « Nations Presse Infos ». Peu étonnant, puisque débarrassé de ce passage, l’article au final servait les intérêts marinistes dans sa course à la présidence du FN, sa conclusion étant :
« Bref, à l’insu des protagonistes, les prises de position de Marc George et Jérôme Bourbon en faveur de Bruno Gollnisch, pourraient avoir des allures de baiser qui tue ». Etrange tout de même que ce coup de fil n’ait pas déclenché plus d’interrogations de la part des média à l’époque. Renseignement pris, il semblerait qu’il n’y ait pas eu appel, mais plus simplement un entretien direct.
Un des autres alliés de JCN-Carlisle au sein du FN est Jean-François Touzé, dont il est un proche. Ce dernier, véritable girouette de l’extrême droite[4] en faisait un interlocuteur parfait, mais sa ligne jugée trop « occidentaliste » débouchera sur son exclusion du Front. On le retrouvera quelques années plus tard, toujours aux côtés de JCN-Carlisle, prenant la parole lors de rassemblements de soutien à Israël, notamment ceux organisés par l’association Europe-Israël de Jean-Marc Moskowicz. Et à ceux qui s’inquiètent ou s’étonnent de sa présence (notamment lors de la manifestation devant l’ambassade d’Israël), il répondra sur le site ultra sioniste JSS-News : « il se trouve simplement que ce jour là mon ami « Mickaël C » de la LDJ m’a demandé de prendre le micro et d’improviser un discours ce que j’ai fait bien volontiers. » On ne peut faire plus clair.
Toutefois ces rencontres entre JCN-Carlisle et l’équipe mariniste rencontrent un obstacle de taille, l’attitude et les choix stratégiques d’un Jean-Marie Le Pen, qui au même moment, joue la carte du duo Dieudonné – Soral livré sur un plateau par Frédéric Chatillon[5]. La consécration de cette nouvelle alliance est la venue de Dieudonné à la fête « Bleu blanc rouge » (BBR) du FN en 2006. Cela met un coup d’arrêt aux rencontres entre JCN-Carlisle et l’équipe mariniste. Pour ce dernier, présent aux BBR et menant la fronde contre Dieudo, F. Chatillon représente la quintessence de l’antisémitisme, et on peut dire qu’il connait fort bien ce sujet, tout comme il connait fort bien le monsieur.
Mais pour comprendre cela il nous faut remonter un peu dans le temps, dans les années 1980 plus précisément. A cette époque la LDJ n’existe pas encore, et c’est au sein du Betar qu’évolue JCN-Carlisle. Il participe, entre autres, à la mise en place de ce qui deviendra quelques années plus tard le Service de Protection de la Communauté Juive (SPCJ), officiellement rattaché au CRIF depuis.
Une de ses principales activités du moment est la « surveillance » des groupes d’extrême droite (ED), avec une préférence pour ceux définis comme antisémites. C’est à ce titre qu’il fréquente différentes librairies, au premier plan desquelles figurait Ogmios, librairie où officiait Frédéric Chatillon. Dans sa très complète biographie de François Duprat, Nicolas Lebourg nous apprend que Jean-Claude Nataf était présent au cimetière Montmartre pour la commémoration de la mort de François Duprat en 1998, année où Pierre Sidos était présent avec pas mal de militants de l’œuvre française, Nataf est présenté comme « cadre du Betar … qui se charge de longue date de garder un œil sur l’extrême droite antisémite »[6].
Surveillance qu’il ne cessera jamais vraiment, faisant du monsieur un assez bon connaisseur de ce petit milieu. Mais si « connaissance » il y a, les réticences se limitent, elles, aux seuls groupes affichant leur antisémitisme viscéral, il est évident que les groupes d’ED ciblant l’immigration, l’Islam et/ou les populations d’origines arabes ne seront pas mis sur le même plan, et jugés de la même façon.
En 2008, signe que le torchon brule entre JCN-Carlisle et le FN, le Front met en ligne un article sur « Nations Presses Info » intitulé « Pour Michael Carlisle de la LDJ, les chrétiens en mission ne sont « pas les bienvenus » en Israël ! », qui se finit tout de même sous forme de menaces à peine voilées. Le plus important de l’article restant cette précision : « l’intéressé n’est pas n’importe qui. Michael Carlisle est un habitué de la mouvance nationale française depuis les années 60. Il a un temps fréquenté le Mouvement Occident jusqu’en 1968, pour se rapprocher par la suite du Betar et de l’ultra droite sioniste en France.»
Du côté de chez les Identitaires
Ne pouvant plus miser sur un FN « propre » qui arriverait à se débarrasser de ses éléments jugés un peu trop « antisionistes » puisque Jean-Marie le Pen ira même jusqu’à imposer Alain Soral et Marc Georges au Comité Central du FN (comme le règlement du parti l’y autorise), JCN-Carlisle se tourne un moment vers les cadres du Bloc Identitaire (BI), qui avec leur ligne « Ni keffieh ni kippa » ont l’air de vouloir rompre avec l’antisémitisme. De plus, leur discours très anti-islam et « anti-racailles » colle parfaitement à celui de la LDJ. Cela se concrétise par une rencontre à Paris, en marge d’une manifestation du BI entre Richard Roudier, Fabrice Robert et JCN-Carlisle[7]. Malgré quelques déconvenues, comme par exemple l’annonce d’une séance de dédicaces d’anciens combattants français de la Waffen-SS à la Librairie du Paillon à Nice (principal point d’encrage des Identitaires) révélée par Jean-Yves Camus dans Rue89, les liens se maintiennent, au moins jusqu’aux Assises contre l’islamisation de l’Europe, co-organisées par le BI et Riposte Laïque où l’on voit une partie de la LDJ venir prêter main forte au Service d’Ordre géré par les Roudier père et fils[8].
Avec les gars d’la « Marine »
Enfin arrive le congrès de Tours du FN en janvier 2011, l’élection de Marine Le Pen à la présidence du FN, mais aussi et surtout (du moins pour JCN-Carlisle) la défaite de Bruno Gollnisch et de ses troupes, au premier rang desquelles figurent pas mal de militants de l’Œuvre française, véritable bête noire pour JCN-Carlisle. A nouveau il va peut-être y avoir moyen de s’entendre entre véritables patriotes français, et les exclusions des militants de l’Œuvre française par la nouvelle équipe dirigeante du FN dans les mois qui vont suivre ne pourront que le confirmer[9]. Soral n’est plus un obstacle : il a quitté le FN en 2009 faute d’obtenir la tête de liste FN en Ile-de-France pour les Européennes de 2009 (Marine Le Pen s’y étant opposée fermement).
De plus, dans le cadre de sa stratégie de dédiabolisation mais aussi dans sa course à l’élection présidentielle, où elle a bien conscience que l’accès au second tour pourrait se jouer à quelques points près, Marine Le Pen lance des appels du pied à la communauté juive de France, et multiplie les gages de bonne conduite[10].
Dès le mois d’avril suivant, « Amon Cohen », autre pseudo utilisé par Jean-Claude Nataf, déclare au Parisien suite à la mort lors d’un braquage d’un bijoutier membre de la communauté juive à Paris boulevard des Batignolles : « certains [ndlr : dans la communauté] avouent être tentés « de plus en plus pour un vote protestataire en faveur du Front national ».
Les contacts peuvent donc reprendre, et ce malgré l’opposition de Claude Barouch l’ancien président de la très influente Union des Patrons Juifs de France (UPJF) et ami de JCN-Carlisle. Si nous l’évoquons ici c’est qu’il est aussi un très proche de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur de l’époque, et certains y trouvent là une possible explication quant à l’indulgence flagrante dont bénéficient les membres de la LDJ lors de leurs diverses interpellations pour violences.
Toutefois, un obstacle de taille empêche ces rencontres d’aboutir à une prise de position du leader de la LDJ en faveur de Marine Le Pen, un obstacle dénommé Frédéric Chatillon. Ce dernier, ce n’est plus un secret pour personne, est non seulement un ami personnel de Marine Le Pen, mais il en est aussi un très proche conseiller, en charge notamment de la communication du FN. On le dit très présent lors de la campagne de 2012, ce qui entraîne de nombreuses frictions au siège du boulevard Malesherbes lorsqu’il croise l’équipe de l’Union des Français Juifs – UFJ amenée par Michel Ciardi.
Bizarrement il semblerait que Philippe Peninque malgré sa proximité avec F. Chatillon ne bénéficie pas du même traitement de la part de JCN-Carlisle, et que ces deux là entretiennent des relations plutôt courtoises, et ce depuis les premières prises de contact avec le FN au début des années 2000. D’aucuns pourraient se demander pourquoi.
Peninque étant réputé avocat d’affaire brillant[11], on aurait pu penser qu’il y avait d’autres motifs que la politique. Sauf que dans le cas JCN-Carlisle c’est totalement impossible, celui-ci étant interdit de gérance et devant des sommes folles au fisc[12] . C’est d’ailleurs pour cela qu’il travaille comme simple salarié dans la société de son frère Marc[13], Impexit, qui fait de l’import de jouets et cadeaux provenant du marché chinois. C’est à cette adresse que les RG viendront (par 2 fois au moins) interroger JCN-Carlisle suite à des exactions commises par des membres de la LDJ, une fois lors de l’attaque de la Librairie Résistance[14], et une autre fois lors d’une agression au bord du lycée Janson de Sailly. La vitrine remplie de figurines de policiers ou de gendarmes a du bien les amuser.
En conclusion, ce que nous révèle cette photo publiée dans Polka Magazine montrant JCN-Carlisle et Philippe Peninque en grande conversation, c’est que bien au-delà des divergences politiques, et malgré les déclarations hostiles de JCN-Carlisle envers l’équipe Chatillon, ce dernier continue à penser qu’il y a une carte à jouer au sein du FN.
Pas sûr que le résultat soit réellement là, car Marine Le Pen en réalité n’est ni pro-sioniste ni pro-musulman, elle est tout simplement pro-FN, et contrairement à son père, elle est à la conquête du (d’un ?) pouvoir. Si pour cela il lui manque quelques voix, elle les prendra bien volontiers tant chez les uns que chez les autres !!
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A la lecture ce qui précède, quoi de plus normal ?
Et si l’on vous dit qu’il s’agit d’un rassemblement de l’Œuvre française et des Jeunesses Nationalistes, cela parait encore plus logique. Là où le bat blesse, c’est qu’il s’agit de leur très éphémère rassemblement du 29 septembre 2012 à Paris sur le Parvis de Notre-Dame. Ce rassemblement était initialement prévu place de la République, mais une interdiction de la préfecture au dernier moment (la veille) viendra perturber ce programme, c’est donc sur le parvis Notre-Dame que se rabattront les militants de l’Œuvre française et des JN. Ce qui est étrange c’est que le lieu de remplacement fût gardé secret (même pour les militants déjà présent sur Paris) jusqu’au moment de prendre le métro au départ du local de l’Œuvre française dans le XIIIe arrondissement.
Alors ? la LDJ aurait-elle réussi à infiltrer l’Œuvre française ? JCN-Carlisle serait-il devin ? Pur hasard ? ou renseignement obtenu par un contact chez les RG ??
Nous vous laissons libre de votre choix, le notre est fait !!
- Carlisle n’est que l’un des pseudos qu’il utilise, celui que l’on retrouve le plus fréquemment, mais on pourrait citer aussi « Eliahou Tubiana » ou ces dernières années « Amon Cohen »[↩]
- Ex secrétaire général d’Egalité & Réconciliation, nommé membre du Comité Central du FN en 2007 par Jean-Marie Le Pen, et aujourd’hui en rupture avec un petit peu tout le monde[↩]
- Rivarol n°2952 du 14 mai 2010[↩]
- N’y voyez pas là insulte, mais passer par autant de partis, et monter autant de mini-structures politiques au gré des vents et marées qui soufflent sur le petit monde de la droite nationale nous fait dire que ce terme peut lui convenir tout à fait[↩]
- cette stratégie politique amènera notamment le discours de Valmy rédigé par A. Soral, ou encore la visite de Jean-Marie Le Pen sur la dalle d’Argenteuil quelques mois plus tard[↩]
- « François Duprat, l’homme qui réinventa l’extrême-droite » Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Denoël, février 2012, page 327[↩]
- JCN-Carlisle était déjà en relation avec R. Roudier, depuis au moins 2005 selon Jean-Yves Camus [↩]
- Ces Assises se dérouleront bien mieux pour la LDJ et ses affidés que les deux « apéros saucisson-pinard » de juin et septembre organisés par la même bande, puisque dans les 2 cas la présence remarquée de Serge Ayoub fera sauter le « vernis » et débouchera sur des altercations entre militants de la LDJ et skinheads-fafs[↩]
- Parmi lesquels Yvan Benedetti, Alexandre Gabriac, Christophe Georgy, Olivier Wyssa ou encore Edouard de Brisoult[↩]
- Déclaration sur la Shoah « summum de la barbarie », interview dans Israël Magazine (très à droite, où participent Alexandre Del Valle et des anciens de la LDJ), voyage de Louis Aliot en Israël (la venue de MLP fût refusée au dernier moment), rencontre avec l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, création d’une Union des Français Juifs liée au FN, coquille vide qui regroupera au plus fort de sa courte existence 4 militants …[↩]
- Et ce malgré un raté de taille : c’est lui qui a conseillé au clan Le Pen de ne pas régler les factures d’imprimerie à F. Le Rachinel, amenant le FN au bord de la faillite, et l’obligeant à vendre son siège de Saint-Cloud « Le Paquebot »[↩]
- Il fût lié par le passé à un grand truand à qui il servira d’homme de paille, et sera condamné dans une affaire d’escroquerie à sa place. Ce dernier ayant été exécuté à Moscou, peu de chance qu’il revienne un jour le disculper[↩]
- Bien que non militant, on le voit occasionnellement à des rassemblements de la LDJ, et il peut s’avérer aussi être un véritable soutien financier pour le groupe[↩]
- Grégory Chelly, David Benaroch, Yoni Sulman et Ruben Chocron, tous membres de la LDJ, seront interpellés et condamnés pour le saccage à Paris de la librairie Résistance le 3 juillet 2009. Un 5ème, mineur au moment des faits sera jugé à huis clos[↩]
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