REFLEXes

Budapest brune – Le Pen invité par l’extrême droite hongroise

On sait qu’au Front national, les relations internationales sont la chasse gardée de Jean-Marie Le Pen, qui ne rate pas une occasion de se rendre à l’étranger sitôt qu’on l’y invite.

C’est pourquoi le 23 octobre dernier, Le Pen s’est rendu à Budapest pour commémorer le 47ème anniversaire du soulévement de 1956 contre l’URSS, à l’invitation du Parti de la Justice et de la Vie (MIEP). Ce parti d’extrême droite hongrois est dirigé par Istvan Csurka et a pour vice-président Lorant Hegedus, qui a été condamné en décembre 2002 par la justice de son pays à 18 mois de prison avec sursis pour antisémitisme. Il avait en effet déclaré dans la revue de son parti, Magyar Forum : « Nous (les Hongrois) devons parquer les Juifs à part parce que sinon ils prendront notre place. ». Le MIEP n’en était pas à son coup d’essai, car on trouve depuis longtemps dans Magyar Forum des articles visant à « prouver » que les Juifs ont exagéré le nombre des victimes de la politique d’extermination du régime nazi. On comprend mieux la présence lors de cette commémoration, aux côtés de Le Pen, de David Irving, le négationniste bien connu. Ainsi, devant quelques milliers de nationalistes hongrois (le FN prétend 70000 (!), mais des médias étrangers sur place évaluent leur nombre à 3000), Le Pen a pu faire son petit numéro, avec un discours appelant les « patriotes européens » à s’unir contre le mondialisme, pour restaurer « l’Europe des nations souveraines ».

Cette invitation n’est pas la première : déjà, le 27 octobre 1996, le MIEP avait invité le FN dans les mêmes circonstances. À l’époque, Jean-Marie Le Pen et Dominique Chaboche, co-fondateur du FN et alors vice-président du FN pour les affaires internationales, cherchent par tous les moyens à développer des contacts en Europe de l’Est. Aussi les invitations sont-elles rendues, et le leader du MIEP, Istvan Csurka, est présent à Strasbourg, en avril 1997, lors du XIe Congrès du Front national. Le MIEP n’était alors qu’un groupuscule, regroupant à peine 2% des voix. Mais en 1998, le MIEP obtient 5,4% des voix et entre dans la coallition gouvernementale hongroise (des accords avec les partis de droite avaient déjà eu lieu par le passé), et devient susceptibles d’envoyer l’un des siens au Conseil des ministres de l’Union…

À l’époque, grâce à ses contacts répétés avec les partis nationalistes d’Europe orientale (Roumanie, Serbie, Slovaquie…), le Front national espère en effet que les élus nationalistes des pays susceptibles de rejoindre dans un avenir proche l’Union européenne (dont la Hongrie) vont lui permettre de redonner vie à un groupe des droites nationalistes au Parlement européen. Rappelons qu’en 1984, le Front national rentre au Parlement européen et qu’il constitue alors, avec les élus italiens du MSI et un député de l’EPEN grec, le Groupe Technique des Droites Européennes (GTDE), qui est rejoint en 1989 par les Republikaners allemands et un député du Vlaams Blok. Mais le groupe explose rapidement à cause de tensions entre Italiens et Allemands (à propos du Sud Tyrol), et le GTDE, tout au long des années 1990, connaît moultes remaniements, exclusions et départs, et finit par disparaître. Comble de malchance pour le Front, les élections de 1999 arrivent juste après la scission, et le FN obtient son plus mauvais score aux élections européennes : 5,69 % des voix (contre 10,51% en 1989) et 5 élus : Bruno Gollnisch, Carl Lang, Jean-Claude Martinez, Marie-France Stirbois, Charles de Gaulle (Le Pen ne pouvant se présenter comme candidat suite à ses démêlées avec la justice après l’affaire de Mantes-la-Jolie). Notons au passage qu’à la suite de la scission, Bruno Mégret n’entend pas laisser le carnet d’adresses internationales entre les mains de Le Pen, et tente lui aussi de rester en contact avec le MIEP. Non seulement Vitrolles est jumelée avec la ville hongroise de Göd dont le maire, Laszlo Bognar, est le vice-président du MIEP, mais Mégret retrouve Istvan Csurka lors de la rencontre internationale organisée en Autriche par le journal d’extrême droite autrichien Zur Zeit, dirigé par Andreas Mölzer, ancien conseiller culturel de Haider.

En 2002, le MIEP a connu un certain nombre de déconvenues électorales. Le 7 avril, ayant recueilli moins de 5% des voix (avec pourtant un nombre de voix sensiblement le même qu’en 1998), il perd tous ses députés au parlement hongrois. Le même mois, c’est le référendum pour l’adhésion à l’Union européenne, approuvée à 83,76% par les électeurs hongrois (avec un taux de participation de 45,6%), qui voit l’audience du MIEP en recul. Celui-ci était bien sûr très hostile à cette adhésion, tout comme Ernö Razgonyi, leader du Front national hongrois, une nouvelle formation issue d’une scission du MIEP, qui prophétisait qu’avec l’entrée dans l’Union européenne, les Hongrois seraient réduits à l’état d’« escalves ».

Néanmoins, cette entrée de la Hongrie dans l’Union européenne, comme celle des autres pays de l’Europe de l’Est, pourrait permettre au Front national de réaliser son rêve, à savoir la constitution d’un groupe nationaliste au Parlement européen. Cela permettrait non seulement au FN d’élargir son audience internationale, mais aussi (surtout ?) de remplir ses caisses, grâce aux grasses subventions accordées aux groupes parlementaires pour les déplacements de leurs députés. Reste que tous les problèmes ne sont pas régler, et qu’on envisage mal, par exemple, une cohabitation harmonieuse entre députés au nationalisme exacerbé (cf. crise de 1989) et une attitude commune face à la question de l’immigration ou en ce qui concerne la défense des intérêts nationaux, dans le domaine de l’agriculture par exemple. Si l’internationale brune n’est pas pour demain, le poids des nationalistes dans les instances européennes risque de s’imposer comme une réalité durable.

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