Nous avons interviewé une personne connaissant bien la situation et qui souhaite pour des raisons évidentes garder l’anonymat.
REFLEXes : Peux-tu nous définir en quelques mots les limites entre la nécessité et le danger d’un parti pro-kurde comme le PKK ?
Déjà, pour comprendre la situation du PKK, il faut savoir comment ce parti s’est créé et dans quelles conditions. Quand la Turquie a voulu coloniser les régions du Kurdistan, elle n’a jamais basé sa politique sur l’intégration ou l’assimilation, mais sur la discrimination par la force. Au lieu de contrôler de façon économique, politique ou culturelle, elle a directement envoyé l’armée pour prendre le pouvoir par les armes, en essayant de diviser les structures kurdes. Le PKK a adapté sa politique sur cette réalité et a pu développer ses forces militaires, de façon légitime, contre les répressions de la Turquie. Parallèlement, il a lutté contre les autres organisations kurdes pour créer une politique de masse. C’est par la terreur et par les armes qu’il a fait sa place sur le terrain politique, en interdisant aux autres groupes kurdes de se développer. Après le putsch de 1980, la grande majorité des organisations kurdes se sont exilées en Europe pour lutter contre le pouvoir turc, avec le soutien des partis internationaux. Le PKK a lui reculé dans les régions kurdes des pays voisins (Syrie, Liban…) pour organiser sa structure militaire. À ce moment-là, la Turquie a déclaré «la terreur ouverte» et a provoqué l’éclatement de la gauche kurde et turque. En 1985, le PKK, seul parti luttant contre l’État et l’armée, reste malheureusement la dernière alternative face à la «guerre ouverte» déclarée par la Turquie. L’intellectualisme y est considéré comme un luxe. ll n’y a pas de temps pour la discussion, toute prise de décision est unilatérale et chaque militant est prêt à mourir pour la liberté. Le danger de ces organisations de masse est la négation de l’individu au nom de l’organisation et le développement de sa structure sur un mode militaire et non culturel ou social.
REFLEXes : Les mouvements fondamentalistes se sont largement développés en Turquie : quelles sont les relations entre les différents groupes islamistes comme le Hezbollah et le Refah (Parti de la Prosperité), par exemple ?
Le peuple kurde est un peuple musulman sunnite, le Kurdistan a toujours été fidèle à l’Islam. La Turquie s’est servie de cela pour manipuler les régions kurdes contre l’idée de nation qui commençait à se répandre, en prétextant le sentiment de «fraternité de religion». Le Hezbollah est une organisation d’extremistes islamistes illégale, qui s’est créée en 1990 au Kurdistan. Il est vraisemblable qu’elle a été montée de toutes pièces par l’État turc et qu’elle travaille avec la police. Le Hezbollah turc n’a aucune relation avec celui du Liban. Ce groupe lutte contre les indépendantistes kurdes. Le Refah est un parti islamiste, le seul qui n’est pas panturkiste, ce qui explique qu’il récupère facilement des voix kurdes. Le Refah rassemble tous les groupuscules extrémistes islamistes, dont le Hezbollah.
REFLEXes : Comment expliques-tu la quasi inexistence de la gauche en Turquie, mise à part les partis pro-kurdes comme le PKK ?
Avant le push de 1980, les organisations de gauche turques et kurdes travaillaient ensemble.
Comme je l’ai déjà expliqué, l’État a tout fait pour éclater les forces d’opposition, et les techniques du PKK n’ont fait qu’accentuer ce phénomène. De plus, comme partout ailleurs, la chute du mur de Berlin et les événements en Russie ont amené à un recul des valeurs de la gauche. Depuis dix ans, seuls les groupes kurdes arrivent à se mobiliser face aux événements qui ont lieu au Kurdistan, mais la gauche turque refuse de prendre parti pour le PKK ou pour l’État et reste de ce fait silencieuse face aux problèmes de la Turquie. Aussi, le nationalisme en profite pour prendre du pouvoir.
Actuellement, une nouvelle gauche essaie de se restructurer, mais elle fait face à de nombreuses difficultés, que ce soient les répressions continuelles de l’État, la montée du nationalisme, celle de l’islamisme, les massacres perpétrés par l’armée dans les régions kurdes et la prise de position face à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Ses actions sont, actuellement, la création de différents journaux publiés légalement ou pas.
Paru dans REFLEXes N° 47, oct./nov. 1995
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