REFLEXes

Les anti-IVG en Allemagne

26 février 2003 International, Les radicaux

La question de l’avortement constitue un point de jonction traditionnel entre les organisations conservatrices et les organisations néo-nazies. À cet égard, les différences sont moins sensibles par rapport à l’attitude fondamentale de rejet qui leur est commune, que par rapport aux justifications qu’ils donnent[1]. Il y ainsi l’argumentation chrétienne ou l’argumentation humaniste, qui part du principe que toute vie humaine (à naître) est intangible ; il y a aussi l’argumentation qui s’appuie sur la constitution allemande et prétend décider par le biais du tribunal si les grossesses sont «raisonnablement possibles», ou encore l’argumentation nationaliste et raciste, pour qui il s’agit d’augmenter le taux de natalité de l’Allemagne.

Plus de 100 organisations provie ont pris pour tâche en RFA de défendre les «enfants à naître» : il s’agit d’organisations religieuses, de regroupements de médecins, de juristes, voire même de partis. Les liens avec l’extrême droite dans ce domaine existent effectivement, mais il est difficile de les mettre en évidence. Tous les partis de droite et d’extrême droite, des REPs jusqu’au FAP, consacrent une partie de leur programme à la «protection de la vie». Il n’existe quasiment pas de travail commun organisé : des contacts passent par des organisations intermédiaires, comme par exemple la Ludwig-Frank-Stiftung, par les congrès du centre d’études Weikersheim ou par le biais de publications comme Criticon, Mut et Nation & Europa. Beaucoup de provie ont des revendications qui dépassent le paragraphe 218[2] et qui constituent une sorte de transition vers des positions néo-fascistes.

Par le biais d’une comparaison répétée avec l’Holocauste («l’infanticide répété des millions de fois» ou bien «l’embryocauste»), ils propagent des idées révisionnistes. À ce propos, un pasteur écrit dans le journal du diocèse :
«Au moins, les nazis avaient pourvu leur génocide d’une idéologie. Il ne s’agissait pas d’un égoïsme froid et sans cœur, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’avortement. Ce meurtre, qui a lieu au nom d’un égoïsme impitoyable, est pour cette raison à situer plus bas sur l’échelle de la morale.»[3]
Bien souvent, ce n’est pas le «meurtre» en soi qui suscite l’indignation, mais plutôt le «l’affront fait à la nation», la honte que l’État ait permis une telle chose. Leur «combat contre la mentalité de l’avortement» comme «suicide collectif d’un peuple» est le moyen d’imposer un nouvel ordre moral.

La Juristen-Vereinigung-Lebensrecht (JVL)[4]

La JVL a été fondée le 8 juin 1984 à Cologne. Depuis 1986, elle est reconnue d’utilité publique.
Voici ce que dit la charte de la JVL sur leurs perpectives :
«L’association se soucie de la dignité humaine et des droits des enfants à naître et des femmes enceintes, et partant du principe que l’enfant né et l’enfant à naître ont les mêmes droits, elle s’efforce de trouver un compromis en cas de conflit.» De cette façon, ils essaient entre autres de gagner de l’influence sur cette législation en «faisant des suggestions […] dans le domaine du droit allemand et européen et en encourageant les propositions de réforme».

64% des membres sont des juristes, des professeurs, des juges fédéraux, des procureurs ainsi que quelques professeurs en médecine, des théologiens, des philologues, des publicistes, des conseillers ministériels et des hauts fonctionnaires. C’est chez les étudiants et les étudiantes en droit que la JVL a trouvé sa relève.

Par ailleurs, presque tous les écrits juridiques (recherche et formation) sur le thème du paragraphe 218 sont le fait de membres de la JVL. Ainsi, le commentaire standard de la loi allemande utilisé par les tribunaux, les avocats et les procureurs pour la jurisprudence correspond à une vision de la tendance dure des anti-IVG : il dépasse bien souvent la lettre de la loi allemande.
La JVL ne s’occupe pas seulement du paragraphe 218, quelques membres se sont également prononcés pour la réintroduction de la peine de mort ou pour l’abolition du droit d’asile. Christa Meves, une adversaire bien connue de l’avortement, est membre de la JVL.

La Europäische Ärzteaktion (EÄA)[5]

La EÄA a été fondée en 1975 par le docteur Siegfried Ernst de Ulm qui au moins jusqu’en 1973, était très proche de Manfred Roeder. Le pasteur (à la retraite) Wolfgang Borowski est également un membre-fondateur de EÄA. C’est un militant d’extrême droite actif encore aujourd’hui : il est membre du «Schutzbund für das deutsche Volk»[6] et en 1991, il était l’adresse-contact du «Deutscher Nationalkongreß»[7].

L’argumentation fasciste de la EÄA est clairement visible dans la résolution du 30 mai 1975 qu’elle a envoyée aux députés du Bundestag. Il y est question de la libéralisation du paragraphe 218 qui aurait pour conséquence non seulement «la mort de millions d’enfants allemands non nés, de la génération à venir, mais aussi la ruine du peuple allemand lui-même». La question de l’avortement serait étroitement liée à la protection de «l’ensemble du peuple» contre «une catastrophe biologique, morale, économique, politique, militaire et idéologique». Dans une prise de position que personne ne lui avait demandée et qu’il adressait au tribunal constitutionnel, Ernst écrivait en 1973 «[…] qu’ici, l’égoïsme personnel de femmes, d’hommes et de médecins dégénérés était utilisé […] en vue d’imposer des buts politiques et idéologiques internationaux qui voudraient amener au bout du compte le renversement de notre ordre démocratique libéral.» Les membres de la EÄA exercent une influence directe sur les organisations de médecins par le biais de leurs activités au Conseil de l’Ordre des médecins. Ils essaient entre autres de dissuader les médecins de pratiquer des avortements en toute légalité.

Parmi les membres de la EÄA, on trouve le docteur Hartwig Holzgartner (Munich), qui est depuis longtemps délégué aux congrès des médecins et président de la commission Santé et Politique de la CSU, le professeur Hermann Hepp (Munich), qui dirige la clinique gynécologique Großhadern et est membre de la commission d’éthique du Conseil de l’Ordre des médecins et de la JVL.

Les «Chrétiens-démocrates pour la Vie»[8] (CDL)

Les CDL ont été fondés en 1985 en tant «qu’initiative de la CDU/CSU». Ils s’élèvent publiquement surtout contre l’indice de détresse[9] et demandent une interdiction complète de l’avortement et une lourde condamnation pour toutes les personnes ayant participé à un avortement.

Dans leur programme, ils écrivent que l’avortement est «dans tous les cas contraire au droit et illégal», qu’il est au moins «toujours raisonnablement possible» de porter l’enfant à terme, que même l’autorisation médicale donne lieu «à d’énormes abus» et qu’elle doit faire l’objet d’une décision d’une assemblée d’experts. Les CDL reçoivent un soutien financier des Églises et du gouvernement fédéral.
D’après leurs propres chiffres, les CDL comptent 2300 membres, parmi lesquels 40 députés régionaux et 20 députés du Bundestag. Quelques membres des CDL se sont faits connaître par leurs déclarations extrêmes :
• Julia Schätzle, présidente des CDL pour le Bade-Wurtemberg, qui se déclare opposée à l’avortement même après un viol.
• Karin Stieringer, présidente des CDL pour Brême, pour qui «l’avortement est un meurtre, mais avec les handicapés, c’est autre chose.»
• Claudia Nolte, le ministre de la Famille, qui pense que l’État devrait condamner les femmes. D’après elle, ce serait en fin de compte une bonne idée de condamner les femmes ayant avorté «à un an de travail social en hôpital», cela serait une façon de «rétablir l’équilibre par rapport à la souffrance qu’elles auraient causée.»
En septembre 1990, les CDL ont organisé le congrès de la EÄA à Dresde. À ce congrès sont apparues de nombreuses personnalités qui font le lien entre la CDU/CSU et les organisations d’extrême droite. Ils travaillent en étroite collaboration avec d’autres organisations provie comme «Aktion Lebensrecht für alle» (ALFA), Pro Vita et «Aktion Leben»[10].

«Aktion Lebensrecht für alle e. V»

ALFA se décrit comme «une initiative de citoyens pour la protection de la vie humaine» avec des groupes actifs dans de nombreuses villes. ALFA n’est pas limité à une confession, mais on y trouve traditionnellement plutôt des catholiques. Son siège est à Augsbourg.
ALFA travaille en étroite collaboration avec la JVL et les CDL, en outre certaines personnes sont à la fois membres de «Aktion Leben» et de la EÄA. ALFA concentre ses efforts à polémiquer contre l’avortement et à faire pression sur des services de consultation comme Pro Familia. Son but déclaré est le renforcement du paragraphe 218. Ses brochures sont réalisées de façon pseudo-scientifique et tentent de manipuler les esprits par le biais de photos de foetus démembrés. Les images des embryons qui sont reproduites dans ces brochures représentent soi-disant des embryons âgés du nombre de semaines où on a le droit d’avorter ; en fait, il s’agit d’embryons bien plus âgés. Ils tentent par ce biais d’exerer une pression psychologique sur les femmes.
La présidente nationale de ALFA, Hedwig Seelentag, a reçu pour son travail à ALFA la croix nationale du mérite. Le journaliste de télévision Franz Alt, militant pacifiste bien connu, est membre de ALFA. En 1988, il avait quitté la CDU et s’était réclamé de l’ÖDP et de la Salem Bruderschaft[11]. Pour Alt, les femmes qui se font avorter appartiennent à la même catégorie que les trafiquants d’armes, ceux qui font et qui gagnent les guerres. Ces femmes seraient la cause du «fascisme quotidien».

Paru dans REFLEXes N° 47, oct./nov. 1995

  1. . Il existe deux positions antithétiques : d’une part la condamnation de tout avortement et d’autre part la différenciation eugéniste et raciste pour qui l’avortement d’enfants «endommagés» devrait devenir obligatoire.[]
  2. Il s’agit de l’actuelle loi allemande sur l’avortement.[]
  3. Antifaschistisches Infoblatt, Nr. 11, S. 55.[]
  4. Regroupement de juristes pour le droit à la vie.[]
  5. Action européenne des médecins.[]
  6. Fédération de protection du peuple allemand, organisation néo-fasciste.[]
  7. Congrès national allemand.[]
  8. «Christdemokraten für das Leben».[]
  9. Il s’agit de l’indice de détresse sociale pour lequel une interruption de grossesse est autorisée (ndt).[]
  10. Action droit à la vie pour tous, Pro Vita et Action Vie.[]
  11. Confrérie de Salem, organisation d’extrême droite qui fut connue dans les années 1980 parce qu’elle élevait les orphelins qui lui étaient confiés de façon militaire et les conditionnait selon les principes du national-socialisme.[]
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