« Le soutien international est à la fois vital et précieux pour nous », explique Bruno Garmson, un militant antifasciste de Saint-Pétersbourg. Il n’est pas facile d’être antifasciste en Russie en ce moment. Nous subissons les attaques répétées des militants d’extrême droite, sans que les autorités nous accordent la moindre protection. Nombre de nos militants ont été assassinés ces dernières années, et même quand leurs agresseurs sont arrêtés, ils sortent presque toujours libres, condamnés à des peines avec sursis.
La « démocratie » russe encore balbutiante connaît un déclin rapide : les violations des Droits de l’Homme perpétrées lors des campagnes militaires du gouvernement en Tchétchénie, le vote par la Douma de pouvoirs d’une étendue sans précédent aux services secrets, la mise à pied d’élus (gouverneurs, maires, etc.), l’introduction de la censure les procès politiques médiatiques ainsi que des meurtres racistes et anti-antifascistes ont radicalement changé l’atmosphère politique du pays. Cela a permis aux néo-nazis et à leurs alliés de l’extrême droite parlementaire d’organiser des campagnes qui utilisent le nationalisme comme un alibi pour justifier les meurtres commis, dont beaucoup resteront impunis.
Par delà des frontières russes, il n’est pas toujours simple de mettre en place un soutien politique antifasciste.
Dans les histoires héroïques qu’on raconte aux enfants sur la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 menée contre les nazis (histoires qui défilent sur les écrans de la télévision russe presque tous les soirs), il est aujourd’hui bien difficile de rappeler qu’il existe d’autres raisons à cette guerre que la « défense de la patrie ».
Malheureusement, il ne reste plus que de trop rares témoins susceptibles de décrire l’authentique enthousiasme antifasciste qui animait ceux qui prirent fait et cause pour les Républicains espagnols ; ils ne sont plus nombreux, ceux qui sont capables de dire à quel point ils étaient convaincus, durant la Seconde Guerre mondiale, que les nazis avaient pour objectif de réduire en esclavage et d’exterminer les citoyens russes, qu’ils considéraient comme des sous-hommes ; seuls ces témoins peuvent expliquer à quel point la lutte antifasciste était, au-delà de tout cela, une bataille de l’humanité contre la barbarie fasciste.
Les néo-nazis russes d’aujourd’hui utilisent les mythes nationalistes officiels de la Grande Guerre patriotique à la fois pour prouver la supériorité de la Russie et pour illustrer de quelle façon le régime de Staline a fait se fourvoyer l’ensemble du peuple russe, sacrifiant des millions de soldats et de civils contre la croisade anti-bolchévique de Hitler, qui visait selon eux à « libérer » les Russes. L’ignorance de l’histoire soviétique, l’absence d’une analyse adaptée de la théorie et de la pratique du fascisme et la réduction du terme « antifascisme » à son unique acception de combat nationaliste mené contre les ennemis de la Russie rendent extrêmement difficiles la déconstruction de ce discours qui repose pourtant sur des mensonges criants.
Le véritable antifascisme, qui défie le nationalisme et s’oppose clairement au néo-nazisme, est une orientation politique risquée. Une telle attitude « dissidente » est considérée comme une « opposition suspecte » à la politique du président Vladimir Poutine et de l’État. Tout individu qui adopte ce genre d’attitude est considéré comme un « extrémiste », tout comme les néo-nazis. S’opposer ouvertement au fascisme revient à devenir la cible des bandes de néo-nazis violents qui patrouillent dans les rues de plusieurs villes russes, à la recherche de victimes qu’ils attaquent au grand jour.
De jeunes antifascistes ont commencé la contre-offensive. L’engagement courageux de ces jeunes antifascistes russes contre la violence néo-nazie qui règne dans les rues et ne cesse de s’accroître fait souvent l’objet de procédures judiciaires qui se sont avérées contradictoires. Les procès des assassins néo-nazis aboutissent la plupart du temps à ce que les procureurs ont requis : presque toujours des condamnations pour hooliganisme (violents troubles à l’ordre public) ou pour participation à des faits de hooliganisme.
Il n’existe pas de réelle pression exercée par le Kremlin ou la Douma sur les procureurs pour qu’ils requièrent des peines pour meurtres racistes ou politiques, et les négociations entre juges, procureurs et avocats de la défense sont monnaie courante, dans le but d’aboutir à une coopération durant les procès. Au bout du compte, et de façon cruciale, il y a également un manque de pression du côté des antifascistes qui, parce qu’il n’existe pas de culture démocratique bien enracinée, ne s’impliquent ni dans les enquêtes ni dans les débats menés pendant les procès.
Ici, à Saint-Pétersbourg, des antifascistes ont proposé leur aide, en tant qu’experts, aux procureurs, depuis le début des années 1990, et ils ont mené ainsi des campagnes qui ont pu aboutir. Les néo-nazis ont répliqué en assassinant Nikolaï Girenko en 2004, car il était un des rares chercheurs antifascistes connu pour avoir apporter son aide aux procureurs contre les fachos.
Maintenant, une nouvelle génération d’antifascistes est à l’œuvre, qui s’oppose physiquement aux néo-nazis dans la rue mais aussi lors des procès. Leurs combats sont essentiels (toute autre alternative serait une capitulation) mais extrêmement coûteux. Cela coûte en effet beaucoup d’argent de participer aux débats judiciaires, même quand les avocats travaillent gracieusement. Dans l’affaire qui oppose la famille de Timur Kacharava aux assassins de ce dernier, le soutien financier des antifascistes a permis à la famille et aux amis de Timur de faire juger ses assassins.
En Russie, il n’y a pas de grands syndicats, pas de structures antiracistes dont l’existence soit pérenne ni de tradition antifasciste républicaine (au sens où on l’entend dans d’autres pays), vers qui les antifascistes pourraient se tourner. C’est pourquoi nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes et sur la solidarité antifasciste internationale.
Le soutien de nos frères, de nos sœurs et de tous les camarades antifascistes à l’étranger est donc d’autant plus vital et précieux pour les antifascistes russes.
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