REFLEXes

Ballets bruns

24 avril 2002 International, Les radicaux

Danser avec le IIIe Reich de l’historienne Laure Guilbert livre une étude approfondie sur l’instrumentalisation de la danse par le régime nazi. Laure Guilbert, Danser avec le IIIe Reich. Les danseurs modernes sous le nazisme, Éd. Complexe, 450 p. + photos, 129 F

Danser avec le IIIe Reich de l’historienne Laure Guilbert livre une étude approfondie sur l’instrumentalisation de la danse par le régime nazi. À l’aide de nombreux documents d’archives, l’auteure montre avec rigueur la transformation de la danse moderne née du «romantisme anticapitaliste» de Weimar, en un art de propagande, c’est-à-dire en «danse allemande».

Elle aborde ensuite la politique de l’État nazi et ses relations avec les chorégraphes. Les danseurs subissent d’abord les lois antisémites, notamment Valeska Gert, cabarettiste ayant fui à New York, et Julia Marcus, réfugiée à Paris, auteure d’une parodie dansée de Hitler.

Si ce dernier, amateur d’opéras wagnériens et d’architecture comprend tardivement l’enjeu et le potentiel de l’art du mouvement, il l’utilise ensuite comme fer de lance de l’identité allemande dans le combat de la «Kultur» contre la civilisation industrielle. Les activités de la danse sont chapeautées par le ministère de la propagande, c’est-à-dire Goebbels. La nazification gagne les écoles de danse où sont bientôt donnés des cours de «sciences de la race et de l’hérédité». L’assujettissement aveugle de la danse à ce régime totalitaire atteint son apogée en 1936 avec les Jeux olympiques de Berlin. Les frontières entre art et propagande ont disparu et cela donne ce qu’on connaît : 10 000 participants dansant devant 100 000 spectateurs avec un ordre tout militaire. Les tableaux chorégraphiques qui durent une heure trente exaltent la jeunesse, l’héroïsme, le sacrifice à travers la «beauté» athlétique et la famille patriarcale. Monument mégalomane sans expressivité, le spectacle traduit parfaitement le principe autoritaire et mortifère du nazisme. La chorégraphe nazie Marie-Luise Lieschke le souligne, «la «danse chorale» éduque à guider et à être guidé».

Ambition artistique et sociale, opportunisme, excès d’idéalisme, mais aussi volonté claire de bâtir «un homme nouveau»… telles sont les motivations des chorégraphes qui devinrent les valets d’une idéologie à la mécanique implacable. Notons que par la suite, après 1945 donc, les chorégraphes collabos ne furent guère touchés par le processus de dénazification.

Cet ouvrage passionnant comble un vide (il n’existait aucune étude publique sur le sujet) et invite à reconnaître que l’art est marqué par l’histoire et peut devenir dangereux quand il n’est plus libre idéologiquement. Il explique en même temps comment le milieu artistique est une des premières cibles du fascisme : seuls sont épargnés les éléments aptes à obéir aveuglément aux maîtres.

Danser avec le IIIe Reich rappelle que pour les fascistes il n’y a qu’une expression culturelle et artistique ; celle qui perpétue une tradition nécrosée et reste assujettie à l’idéologie nationaliste. En matière de culture, pour eux «l’avenir de l’homme, c’est essentiellement son passé». C’est ce qu’on devine derrière le nom d’associations culturelles comme celles de Vitrolles : «Culture en Provence», «Sacre du Printemps». Il n’y a pas de création possible chez les fascistes, obsédés par le cadavre du passé et par la propagande de leurs idées.

L. Von

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