REFLEXes

Le nouveau gouvernement autrichien : air connu, chanson nouvelle…

26 septembre 2005 International, Les radicaux

Imaginez un peu : vous vous réveillez d’un cauchemar et vous vous rendez compte que vous n’avez pas dormi un seul instant. Après l’implosion du gouvernement bleu et noir (FPÖ et ÖVP, parti conservateur), une nouvelle assemblée nationale a été élue par les Autrichien(ne)s le 24 novembre 2002. Résultat : la coalition noire et bleue est parvenue à maintenir sa majorité au Parlement en encaissant quelques légères pertes. Mais le plus effrayant dans tout cela a été de constater que la population autrichienne était parfaitement d’accord avec l’expérience gouvernementale de Wolfgang Schüssel (ÖVP) malgré ses échecs et ses mesures iniques… ou peut-être justement à cause de cela.

Si le SPÖ (36,51% des voix, soit 3,35% d’augmentation) et les Verts (9,47% des voix, soit 2,07% d’augmentation) ont vu leurs scores respectifs augmenter, le résultat final a été un triomphe sans précédent pour l’ÖVP : avec 42,30% (soit une augmentation de 15,40%), il est devenu, et de loin, le parti le plus fort. Le FPÖ quant à lui a plafonné à 10,01% (ce qui correspond à une diminution de 16,91% par rapport à 1999). Quoi qu’il en soit, on a pu constater au cours de ces élections un mouvement d’importance chez les électeurs autrichiens, chose qui n’était pas arrivée depuis 1945.
Et pourtant, rien n’a changé. Le 28 février 2003, trois mois après les élections, le président autrichien a investi une deuxième édition de la coalition ÖVP / FPÖ.

Que s’est-il passé ?

Après les inondations de l’été 2002, le gouvernement s’est soudainement rendu compte que la baisse des impôts annoncée pour 2003 devait être remise à plus tard à cause de l’aide à fournir aux victimes des inondations. En y regardant de plus près, l’aide distribuée aux victimes des inondations aurait même entraîné un déficit supplémentaire de 0,4% dans le budget de l’État. Visiblement, le gouvernement avait sous-estimé la situation budgétaire, et il a trouvé dans cette catastrophe naturelle une excuse pour repousser la réforme fiscale programmée. Cependant, le projet d’acheter des avions de chasse a été maintenu.
Le FPÖ, fortement ébranlé par les défaites encaissées lors d’élections de moindre importance et sujet en outre à une certaine nervosité, mettait le cap vers la scission. Le cercle formé autour du ministre-président de Carinthie et ancien chef du parti, Jörg Haider, continuait malgré tout à camper sur ses positions en matière de réforme fiscale, renonçant ainsi brusquement à prendre fait et cause pour l’achat d’avions de chasse. Ils craignaient d’être évincés aux élections à venir s’ils prenaient des mesures impopulaires. Les membres du gouvernement appartenant au FPÖ, c’est-à-dire Grasser (ministre des Finances), Riess-Passer (vice-chancelière et dirigeante du parti) et Westenthaler (chef du groupe parlementaire FPÖ), qui voulaient participer à la nouvelle ligne du gouvernement, entrèrent dans un violent conflit avec Haider. Les fonctionnaires du FPÖ fidèles à Haider convoquèrent alors un congrès dans une ville jusqu’alors inconnue de Styrie : Knittelfeld. Le FPÖ devait y adopter une nouvelle ligne qui s’opposerait à celle du gouvernement. Des tentatives de conciliation entre Riess-Passer et le camp de Haider échouèrent ; les « rebelles de Knittelfeld » réunis autour des extrémistes de droite Stadler, Windholz, Achatz, Strache, etc. imposèrent aux membres du parti présents le refus de la ligne gouvernementale. Le lendemain, le 7 septembre 2002, Grasser, Riess-Passer et Westenthaler quittèrent leurs fonctions du FPÖ. L’ÖVP se concerta pendant une journée et décida de convoquer à de nouvelles élections, non seulement parce qu’il craignait pour la majorité gouvernementale au Parlement mais aussi à cause des sondages qui donnaient les conservateurs en hausse. Mais le « putsch » de Knittelfeld n’apporta pas le résultat escompté à Haider et ses amis: le FPÖ s’effondra dans les sondages, non pas parce que la majorité des Autrichien(ne)s se seraient fâchées de la politique du gouvernement mais précisément parce que cette politique leur semblait menacée par le FPÖ.

La campagne électorale

Au sein du FPÖ, les nerfs étaient à vif : un nombre croissant de cadres du parti rendaient Haider responsable de la mauvaise image du FPÖ. Il y eut ainsi une vague de départs du parti, des sections locales se dissolvèrent, les « rebelles » Stadler et compagnie se retrouvèrent sous le feu de la critique et les cadres du FPÖ furent un certain nombre à appeler à voter pour l’ÖVP.
Lors du congrès suivant, le ministre des Transports, Mathias Reichhold, une personnalité assez falote qui n’avait jusqu’alors fait les gros titres qu’à l’occasion de son titre de président d’honneur d’un championnat quelconque, fut élu à la présidence du FPÖ. Les espoirs d’unifier les différentes factions du FPÖ ne se réalisèrent pas. Reichhold fut soumis à une telle pression qu’il rendit son mandat onze jours plus tard, officiellement pour des raisons de santé. Lors d’un nouveau congrès, le ministre des Affaires sociales et des Droits de la Femme, Herbert Haupt, devint le nouveau chef du FPÖ. Malgré cela, il n’y eut pas d’apaisement au sein du parti, mais les élections étaient si proches qu’un autre changement de dirigeant aurait vraisemblablement poussé le FPÖ hors du Parlement.
Peu de temps avant les élections, les sondages donnaient au SPÖ et aux Verts un léger avantage. Mais la crise subie par le FPÖ donna une chance à l’ÖVP : alors que sous Schüssel / Khol, le parti conservateur avait d’ores et déjà opéré un virage très net vers la droite extrême, il n’hésita pas à s’approprier brusquement des thèmes chers au FPÖ. Le SPÖ et les Verts furent traînés dans la boue aux cris de : « dettes ! trafic de haschich ! intégrisme végétarien ! augmentation du prix de l’essence ! manifestations violentes ! etc. », tandis que le ministre de l’Intérieur (ÖVP) mettait en application les restrictions les plus radicales proposées jusqu’ici en politique de droit d’asile. Alors que l’hiver allait commencer, des centaines de réfugiés politiques furent renvoyés des foyers d’accueil où ils étaient hébergés et mis à la rue en l’espace d’une nuit. Toutes ces mesures conduisirent toujours plus d’électeurs et d’électrices du FPÖ à voter pour l’ÖVP. Le 24 novembre 2002, Wolfgang Schüssel récolta les fruits de sa politique par laquelle il s’était en quelque sorte approprié les objectifs du FPÖ.

Des négociations… vraies ou fausses ?

Dans un premier temps, seul Herbert Haupt, qui avait subi une défaite cuisante, était prêt à négocier avec l’ÖVP. L’ÖVP, quant à lui, était de nouveau en capacité de former une coalition avec tous les partis représentés au Parlement : il mena tout d’abord des discussions avec le SPÖ, chez qui cela suscita cependant un certain mécontentement. On avait quasiment l’impression d’assister à un retour à l’hostilité historique existant entre le SPÖ et l’ÖVP. Les discussions n’aboutirent à aucun résultat, et d’autres négociations furent menées avec d’autres partis. En février, les Verts se déclarèrent soudain prêts à entamer des négociations en vue de former une coalition avec l’ÖVP, au milieu de protestations virulentes d’une partie de leur base (en particulier à Vienne). Les négociations échouèrent au bout de quelques jours, bien que les Verts ne se soient intéressés pourtant qu’à des thèmes écologiques. La politique en matière d’immigration ou de droits des femmes ne semblait plus être à l’ordre du jour. Le point d’achoppement fut l’achat des avions de chasse. Puis, tout alla très vite. En l’espace de quelques jours, un gouvernement put être formé avec le FPÖ bien qu’au sein de l’ÖVP, les voix qui s’élevaient contre le FPÖ se fassent toujours plus nombreuses. Il semblerait que l’ÖVP ait mené des fausses négociations avec le SPÖ et les Verts, d’autant que Schüssel fait toujours une fixation sur le FPÖ, vraisemblablement parce qu’il se sent politiquement proche de ce parti.

Le changement dans la continuité

Voici la composition du (nouveau) gouvernement noir et bleu autrichien : en gras, les nouvelles têtes.
Chancelier : Wolfgang Schüssel (ÖVP)
Vice-chancelier et ministre des Affaires sociales : Herbert Haupt (FPÖ)
Ministre de l’Intérieur : Ernst Strasser (ÖVP)
Ministre de la Défense : Günther Platter (ÖVP)
Ministre des Finances : Karl-Heinz Grasser (ex-FPÖ)
Ministre de l’Éducation : Elisabeth Gehrer (ÖVP)
Ministre des Affaires étrangères : Benita Ferrero-Waldner (ÖVP)
Ministre de l’Agriculture : Josef Pröll (ÖVP)
Ministre de la Justice : Dieter Böhmdörfer (FPÖ)
Ministre de la Santé et des Droits de la Femme : Maria Rauch-Kallat (ÖVP)
Ministre des Transports : Huber Gorbach (FPÖ)
Secrétaire d’État à la Chancellerie : Karl Schweitzer (FPÖ)
Secrétaire d’État aux Transports : Helmut Kukacka (ÖVP)
Secrétaire d’État à la Santé : Reinhard Waneck (FPÖ)
Secrétaire d’État aux Affaires sociales : Ursula Haubner (FPÖ)

Au sujet des différents ministres :
Passons rapidement sur le chancelier reconduit dans ses fonctions, Wolfgang Schüssel : il récidive avec cette coalition noire et bleue, ce qui, en soi, est déjà un signe de ses orientations politiques.
Ill semble qu’Elisabeth Gehrer, ministre de l’Éducation, ne trouve rien à redire à la nomination de Burschenschafter nationalistes pangermaniques dans les conseils universitaires.
Benita Ferrero-Waldner, aux Affaires étrangères, s’était quant à elle déjà fait remarquer durant l’été 2001, lorsque, après le G8 à Gênes, elle avait accusé les participant(e)s de la Volxtheaterkarwane d’avoir commis divers délits et les avait de fait abandonné(e)s à la justice italienne sans aucune protection.
Dieter Böhmdorfer, le frère d’armes (et de Burschenschaft) de Haider, s’est distingué pendant la première édition de la coalition bleue et noire, où il était déjà ministre de la Justice, par sa politique sécuritaire en surchargeant les prisons ; il a par ailleurs approuvé l’idée de Haider, qui voulait emprisonner les journalistes qui émettaient des critiques à l’égard du gouvernement autrichien ou des orientations politiques des Autrichien(ne)s : il visait entre autres choses la campagne d’auto-dénigrement menée par beaucoup d’opposant(e)s contre le tourisme en Autriche.
Andreas Khol, le premier président de l’assemblée nationale, qui avait déjà fait parler de lui à plusieurs reprises lorsqu’il avait voulu défendre la mémoire du dictateur austro-fasciste Engelbert Dollfuss, a assisté il y a peu à une manifestation à la gloire de Dollfuss, montrant la permanence de son engagement dans la droite extrême.
Il est déjà arrivé à Karl Schweitzer, au secrétariat d’État à la Chancellerie, de s’occuper de délinquants néo-nazis.
Ursula Haubner, au secrétariat d’État aux Affaires sociales, n’est autre que la sœur de Haider ; elle fait aussi partie des « rebelles » de Knittelfeld.
À ce propos, les pseudo putschistes de Knittelfeld sont surreprésentés au sein du groupe parlementaire du FPÖ, pourtant décimé après les élections nationales. Il semble donc que Haider pourrait continuer à exercer un contrôle sur les élus FPÖ, sans même être à la tête du parti. Après des reculs importants lors des élections municipales de Graz et lors des élections régionales en Basse-Autriche, cette faction est devenue encore plus nerveuse. Après que le gouvernement fédéral a présenté un projet de loi sur la réforme des retraites, qui prévoit des réductions pouvant aller jusqu’à 30% des retraites, Haider s’est empressé de demander une consultation populaire sur ce thème, craignant que le FPÖ soit rendu responsable de cette remise en cause des acquis sociaux, la plus grave de toutes celles constatées jusqu’à aujourd’hui. Le vice-chancelier Haupt, qui avait défendu le projet dans un premier temps a brusquement pris lui aussi le parti de la consultation populaire. Mais au sein de l’ÖVP, il y a eu également des protestations contre une réforme de cette ampleur.
Une fois de plus, le gouvernement montre qu’il est tout sauf stable, et, selon les estimations actuelles, il pourrait bien ne pas résister à une législature entière. Voici la réponse qu’a fait Wolfgang Schüssel à quelqu’un qui s’inquiétait de cette instabilité et s’interrogeait sur le bien-fondé de ces nouvelles élections : « Examinez un peu la répartition des mandats à l’assemblée nationale, et vous le saurez ! »

Rosa Antifa de Vienne
Traduction de Isa

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