L’ancien chef du VDA (Verein für das Deutschtum im Ausland[1]), Karsten Schlamelcher, a été trouvé mort en janvier dans son appartement près de Bonn.
Les suppositions émises par ses proches, selon lesquels il aurait été assassiné, ne se sont pas vérifiées. Mais sa mort a replacé au centre des débats son organisation qui, depuis un siècle, poursuit une politique nationaliste agressive à l’étranger pour le compte du gouvernement allemand.
Publié en juin 1995
On disait de Karsten Schlamelcher qu’il était «l’homme à la valise». Après l’effondrement du bloc de l’Est, il avait apporté des millions dans les pays de l’Est. Il avait participé à l’ascension fulgurante du VDA qui, d’une petite association culturelle, était devenu une organisation très influente. Aujourd’hui, le VDA a retrouvé le rôle important qu’il a joué depuis l’unification de l’Allemagne en 1871. En tant qu’organisation avancée non-officielle de la politique extérieure allemande, il poursuit une politique nationaliste agressive à l’étranger au sein de ce que l’on appelle les minorités allemandes. Le VDA est par ailleurs un maillon important qui relie certaines instances dirigeantes de l’État au nationalisme pangermanique et à l’extrême droite.
Rien qu’en 1990 et en 1991, le VDA avait reçu des caisses des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères plus de cent millions de marks pour rapatrier des personnes d’origine allemande. Schlamelcher, qui dirigeait le VDA, aurait parcouru l’Europe de l’Est pour conclure des achats de terres à Kaliningrad, l’ancienne Königsberg, et le long de la Volga. C’est ce qu’affirmaient les auteurs d’un livre paru il y a peu sur l’histoire du VDA[2]. Il se serait agi de grandes portions de terre prévues pour que s’y établissent des gens d’origine allemande : le but de cette opération aurait été de créer des enclaves allemandes. Ce procédé n’est pas nouveau. Dans les années 1920, le ministre des Affaires étrangères allemand avait également tenté de changer quelque chose aux frontières européennes par des méthodes subversives. Le VDA se tenait alors à ses côtés. Une banque fut fondée en Hollande, qui blanchissait l’argent provenant de transactions secrètes. Des versements de plusieurs millions devaient permettre de promouvoir la «germanisation» au Danemark, en Yougoslavie et en Pologne. Avec les fonds de l’État allemand, des terres, des entreprises et des groupes de presse furent achetés puis repris par des hommes de paille de la minorité allemande. Après le combat pour «l’autonomie culturelle», le VDA mit à l’ordre du jour la revendication de «l’autodétermination nationale» – et par ce biais-là les revendications territoriales de «l’État-noyau» allemand.
Le VDA avait la même idéologie raciale que les nazis. Avec l’arrivée au pouvoir du NSDAP, le VDA devint une organisation décisive sous le national-socialisme. En Europe, les campagnes du VDA se sont surtout concentrées sur la Tchécoslovaquie. Le VDA dirigeait les fonds du ministère des Affaires étrangères vers les séparatistes d’origine allemande. Les hommes du VDA travaillaient pour l’espionnage nazi. Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, les minorités apportèrent une aide logistique importante à l’entrée des troupes allemandes. Les cadres formés dans le VDA constituaient des forces de police, poursuivaient les résistants et participaient à la liquidation des populations locales. En URSS, les spécialistes du VDA pratiquaient un programme de germanisation : ils enlevaient les enfants «assimilables» à leurs familles, ils les sélectionnaient selon leur caractère «germanique». Les victimes de la sélection, ceux qui n’étaient pas de «race pure», le VDA les abandonnait aux troupes d’extermination de la SS.
En 1945, les Alliés ont classé le VDA comme organisation nazie d’importance. Le VDA a été interdit en octobre 1945 et ses biens ont été confisqués. À partir de 1947, les vieux cadres de l’époque nazie ont ranimé le VDA, en dépit de l’interdiction. Hans Steinacher, ancien dirigeant national du VDA, était la figure centrale de l’époque. Rien n’avait été changé dans le programme du VDA dont les deux maîtres mots étaient race et hégémonie. Seul son antisémitisme véhément devait disparaître. En 1952 déjà, des contacts solides étaient établis auprès du ministère des Affaires étrangères, qui se déclara favorable à un travail commun avec les vieux cadres du VDA. Dans le livre Deutschtum erwache ! sont publiés des documents du ministère des Affaires étrangères de cette époque, qui recommandent d’utiliser les cadres du VDA de l’époque nazie à des «tâches précises à l’étranger».
En 1955, l’association fut déclarée sous son ancien nom. Le ministre de l’Intérieur en personne s’occupa du VDA. Un ancien dirigeant régional du VDA pour la Prusse orientale, Theodor Oberlander, qui avait dirigé en tant qu’instructeur le bataillon ukrainien de collaboration «Nachtigall», coupable entre autres de l’extermination massive des Juifs de Lemberg, fut très utile à l’organisation : il ouvrit au VDA les portes du ministère des Vertriebenen[3].
L’ancien dirigeant national du VDA, Steinacher, rencontra en 1961 des représentants du gouvernement fédéral afin de discuter d’un travail commun. Un financement secret du VDA fut mis en place. Le ministre des Affaires étrangères Schröder (un ancien SA) trouvait qu’un financement public du VDA était trop délicat. Selon le procès-verbal d’un entretien de 1963, il conseilla de faire passer le financement «non pas sous le nom du VDA, mais plutôt sous un autre nom». Le fait que le VDA soit dirigé par d’anciens cadres nazis ne constituait nullement pour ce représentant du gouvernement une raison de refuser de collaborer avec cette organisation au passé si chargé. Peut-être même qu’au contraire, on se connaissait depuis cette époque-là, depuis la SA ou le NSDAP. Rudolf Aschenauer est, après Steinacher, un bon exemple de cela. Jusqu’à la fin des années 1970, il a été un des dirigeants du VDA. Sous le nazisme, il était cadre du VDA, membre de la SA et membre important du NSDAP, après 1945, il devint l’avocat de l’organisation nazie d’après-guerre «Stille Hilfe»[4] et le défenseur de criminels de guerre tristement connus. Durant les années 1950, il a appartenu à plusieurs organisations nazies et a assuré la liaison entre le Deutsche Reichspartei et le ministre de l’Intérieur de l’époque (et ancien collègue de la SA) Schröder.
Si l’on regarde l’équipe dirigeante du VDA, les liens très étroits qui existent entre cette organisation et la politique officielle apparaissent de façon évidente. Aujourd’hui, le président fédéral est un député du Bundestag (CSU), qui est également membre de Paneuropa-Union (très réactionnaire) et l’ex-secrétaire général de l’association revanchiste «Bund der Vertriebenen». En arrosant après 1989 le VDA de millions provenant des fonds du gouvernement, le secrétaire d’état du ministère de l’Intérieur, Horst Waffenschmidt, a tant défrayé la chronique qu’il a été retiré du conseil d’administration en 1993. Aujourd’hui, on trouve au conseil d’administration le maire de Berlin, Eberhard Diepgen, et le vice-président du Bundestag, Hans Klein (CSU).
Il y a peu de résistance en Europe de l’Est face aux agissements du VDA. Cela tient au fait que le VDA distribue de grosses sommes d’argent dans ces pays si pauvres. La contradiction vient au contraire, toujours plus forte, de l’Europe de l’Ouest. Au Danemark, le journal d’économie le plus important du pays, Jyllands Posten, a publié il y a quelques semaines un grand article sur les organisations qui travaillent au sein des minorités germanophones avec l’argent du gouvernement fédéral. Il s’agit du VDA ainsi que de la fondation Hermann Niermann[5] et de la FUEV[6]. Cet article intitulé le fantôme de l’Allemagne semblait accuser le gouvernement allemand de mener une politique subversive sous couvert de ces organisations.
En Belgique, les protestations sont plus massives. C’est la fondation Hermann Niermann, très proche du VDA, qui opère là-bas. Le seul journal belge en langue allemande, le Grenz-echo, reproche au gouvernement allemand de soutenir une campagne séparatiste sous couvert de promouvoir la culture allemande. Le gouvernement de la communauté germanophone a mis à jour les agissements de la fondation Hermann Niermann. Dans une lettre de protestation envoyée aux ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères allemands, les responsables écrivent que l’on a essayé en Belgique, avec l’accord ou sous la direction de hauts fonctionnaires des ministères, de diriger la minorité germanophone vers des activités séparatistes. Il y aurait des liens entre Bonn et le milieu d’extrême droite terroriste. Comment disaient-ils donc cela dans Jyllands Posten ? Le VDA se serait allié à la fondation Niermann et à la FUEV pour «tisser sa toile dans de sombres intentions».
Paru dans REFLEXes n° 46, mai 1995
- Association pour la promotion de l’identité allemande à l’étranger.[↩]
- Deutschtum erwache ! Aus dem Innenleben des staatlichen Pangermanismus.[↩]
- Réfugiés des anciens territoires allemands de l’Est après 1945 (Prusse orientale, Silésie, etc.).
[↩] - Ce qui signifie aide silencieuse.[↩]
- Cette fondation finance de nombreux cercles d’extrême droite en Europe.
[↩] - Union fédéraliste des communautés nationales européennes.
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